Comment vit-on confiné, dans un pays où l’avortement est interdit, où les frontières avec la France sont fermées et qu’on attend le résultat du test de la trisomie ?
Je suis enceinte ! La nouvelle nous remplit de joie, mon mari et moi. Après le vécu de deux fausses couches consécutives, cette grossesse a l’air de se dérouler normalement. C’est ce qu’en dit l’échographiste que nous rencontrons, à 11 semaines de grossesse. Je demande à réaliser le test de la trisomie même si la clarté nucale[1] du bébé a l’air dans la norme. Je remarque que le professionnel de santé ne me l’a pas lui-même proposé. Il ne me donne pas non plus tout de suite le compte-rendu de l’échographie. Il enchaîne les patients. Il le rédigera plus tard. Devant mon insistance, il me propose de repasser dans une heure.
Je ne suis pas au bout de mes surprises.
Je file voir ma sage-femme, sans compte-rendu. Elle m’explique que pour réaliser le test de la trisomie, je dois me rendre dans le laboratoire d’analyse près de chez moi, récupérer une feuille de consentement qui doit être co-remplie par l’échographiste et moi-même.
Cela m’oblige à repasser par son cabinet. Qu’à cela ne tienne, je vais lui apporter la feuille, la récupérer remplie et signée et faire la prise de sang dans la foulée. Manque de chance, il s’est absenté plusieurs heures.
La secrétaire n’a pas l’habitude de recevoir ce type de document et dans un premier temps refuse de le prendre. J’insiste. Je rentre chez moi et repasse trois heures après.
Je récupère alors mon compte-rendu d’échographie et le précieux document qui va enfin me permettre de faire la prise de sang. Quel parcours du combattant et quelle perte de temps ! Trois allers-retours dans des bouchons infernaux.
Le temps de rentrer chez moi, le laboratoire est fermé. Cela n’est pas pour me rassurer.
Car la France vient de décréter le confinement et cela va bientôt être notre tour.
Lorsque j’ouvre le compte-rendu de l’échographie, j’y lis dix lignes écrites, avec quelques mesures éparses, contre les deux pages détaillées dont j’avais l’habitude dans mon pays. L’échographiste a-t-il vraiment bien tout regardé ?
Le lendemain, je me rends dans le laboratoire d’analyse. Les portes vitrées s’ouvrent et devant moi, sur un tabouret, trône du gel hydroalcoolique. Ça n’est pas une invitation, c’est une obligation. Des masques artisanaux ont été confectionnés. On me demande d’en mettre un. La secrétaire, qui est aussi celle qui réalise le prélèvement, regarde les documents puis lève les yeux vers moi : voilà qu’il manque l’ordonnance ! J’insiste à nouveau lourdement. Elle me prélève deux tubes de sang et me déleste de 100 €.
Nous sommes confinés depuis maintenant deux semaines. Et j’attends toujours les résultats. Ont-ils perdu mes deux tubes de sang ? Diable, il ne faudrait pas que cela soit le cas car cet examen doit être effectué à une période très précise. Sans quoi, il n’est pas valable.
En repensant à mes multiples allers-retours entre le laboratoire et le cabinet d’échographie, je me demande pourquoi ce test a été si compliqué à réaliser. Plus d’une serait découragée.
En outre, je me rappelle soudain :
Au Maroc, l’avortement est interdit !
Tout va alors très vite dans ma tête. Si mon bébé est dans la catégorie à risques et que nous prenons la terrible décision d’arrêter la grossesse, il nous faut rentrer en France. Impossible pourtant. Il n’y a plus aucun vol depuis plus d’une semaine. Des touristes sont d’ailleurs encore coincés dans le pays sans avoir pu rejoindre la capitale.
Je cherche sur internet les cas légaux d’avortement au Maroc. Le seul article récent que je trouve date du juin 2019. Caroline Protat dans Libération écrit : « Au Maroc, où l’avortement est totalement prohibé, excepté en cas de danger pour la santé ou la vie de la mère, un projet de loi avait été adopté par le gouvernement en 2016 pour étendre cet article 453, en donnant accès à l’avortement en cas de viol ou d’inceste, de troubles mentaux de la femme enceinte ou encore de malformation du fœtus. Un projet de loi resté lettre morte »[2].
Peut-être la situation est-elle différente pour les étrangers ? L’accès à l’information n’est pas aisé et j’abandonne mes recherches.
Je repense à mes fausses couches et aux enseignements que j’en ai tirés et que je livre dans mon récit « Deux corbeaux et une cigogne » prochainement publié aux Éditions Michalon. « Apprendre à attendre : voilà un des enseignements fondamentaux d’une grossesse. Attendre le plus calmement et sereinement possible, sachant que l’on ne peut de toute manière rien changer. Cela signifie, savoir dire « stop » au flot de pensées, ne pas se projeter dans des scenarii qui, pour l’heure, n’ont pas lieu d’exister. Nous aurons tout le loisir de nous alarmer lorsqu’il y aura factuellement, matière à être inquiets. Inutile de ressentir cet état avant l’heure ».
Je me détache de mon cas.
« Je pense à toutes ces femmes loin de leur pays, bloquées dans un pays où le droit à disposer de leurs corps n’est pas le même qu’en France »
Combien d’entre elles se trouvent réellement dans cette situation, bloquées dans un pays où le droit à disposer de leurs corps n’est pas le même qu’en France ? Où les structures de santé et d’accompagnement sont différentes ? J’imagine la peur panique éprouvée à chaque minute du jour et de la nuit de porter un bébé qu’on a décidé de ne pas garder et qui pourtant grandit dans nos entrailles. Coincées comme des rates. Sans issue. Sans solution.
La situation est inédite. La fermeture des frontières peut avoir DES CONSEQUENCES DRAMATIQUES pour de nombreuses femmes. Leur liberté de choix est complètement remise en question. Sans oublier le sentiment de solitude, à son paroxysme, dans des pays où l’avortement est un sujet complètement tabou. Mais aussi cette sensation d’être prisonnière d’un pays qui n’est pas le sien et d’un corps sur lequel on n’a aucune prise. J’imagine leur angoisse et l’urgence qui est la leur.
Puissent les ambassades soutenir ces couples en détresse et leur permettre de rejoindre leur pays au plus vite, car dans ces cas-là, les jours sont comptés.
Malgré le coronavirus qui sévit et l’épuisement des soignants, puissent-ils leur accorder temps et sollicitude et les accompagner dans cette épreuve. Car comme disait Simone Veil « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement […]. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame[3] ».
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Diane Léonor a écrit un premier livre « Deux corbeaux et une cigogne » à paraître aux Éditions Michalon. Elle y raconte le vécu de fausses couches consécutives et l’accompagnement des soignants. Mais aussi le bonheur de la grossesse et d’un accouchement choisi.
Pour aider les couples, elle a créé le site Gloria Mama où on retrouve les enjeux et les messages clefs de son histoire ainsi qu’un podcast du même nom. Florilège de témoignages de femmes du monde entier et d’interviews de professionnels, elle invite à s’interroger sur ce que les femmes souhaitent pour que leur grossesse et accouchement restent des moments uniques de leur vie, vécus de manière positive et respectés par le corps médical.
Précommandez le livre sur https://livre.fnac.com/a14329847/Diane-Leonor-Deux-corbeaux-et-une-cigogne
[1] La mesure de la clarté nucale conjuguée à une prise de sang et des facteurs tels l’âge, le poids, la nationalité, permettent d’évaluer le risque que l’enfant porté soit trisomique. [2] https://www.liberation.fr/planete/2019/06/29/au-maroc-l-avortement-clandestin-en-debat_1736880 [3] Simone Veil, extrait de son discours sur le projet de loi de l’interruption volontaire de grossesse, 26 novembre 1974.
Image Pixabay: Mabel Amber
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